Aggravation de la répression
En Arabie comme aux États-Unis,
en France comme en Chine, l’heure est à une répression
de plus en plus brutale. Ce n’est pas dû en France,
tant s’en faut, à l’arrivée au pouvoir
en mai 2002 d’un gouvernement de droite particulièrement
raide. Le nouveau Code pénal, élaboré entre
1981 et 1994 où il est entré en vigueur, est incontestablement
plus sévère que celui qui le précédait.
On a payé cher la suppression de la peine de mort (12 condamnés
à perpétuité en 1980, 53 vingt ans plus tard).
Pour des faits identiques, la durée moyenne de détention
a doublé depuis 1980. Première conséquence
: le nombre de prisonniers de plus de 60 ans a été
multiplié par cinq.
La perpétuité « réelle »,
c’est-à-dire incompressible, sans libération
conditionnelle possible, a été introduite en France
contre les meurtriers d’enfants par la loi du 1er février
1994 (dite loi Méhaignerie).
Il existait déjà en
France 185 prisons, ce qui est beaucoup par rapport à la
moyenne européenne. Aux Pays-Bas, les députés
avaient très sagement voté un numerus clausus carcéral, évitant ainsi la surpopulation
des cellules et l’escalade de la violence individuelle contre
la violence institutionnelle. En France, on construit trente nouvelles
prisons dont huit pour les mineurs (il s’agit bien de prisons
et non de « centres fermés » sur lesquels
nous reviendrons). Les 13 200 places créées seront
occupées, c’est la loi d’appel du vide, mais
les prisons vétustes resteront aussi surchargées que
misérables. Les cellules de ces bâtiments nouveaux
confiés au secteur privé devront absolument être
toujours pleines, c’est le but de toute hôtellerie.
Voilà pourquoi elles sont dangereuses : quand des opérateurs
privés construisent des établissements pénitentiaires,
ils misent sur le développement de la délinquance.
Si les prisons sont si pleines, n’est-ce
pas parce que la délinquance augmente ?
Pour ce qui est des « grands
crimes », ceux jugés aux assises, on constate
une baisse des meurtres et assassinats ; en revanche, depuis le
milieu des années 80, les condamnations pour viols (et non
pas forcément les viols, même si c’est une hypothèse
envisageable) sont en augmentation constante.
Le vol simple, le cambriolage, le
recel sont en chute dans les statistiques du ministère de
la Justice. En fait, c’est bien ce qu’on appelle la
petite délinquance qui de nos jours désempare le commun
des mortels. Elle augmente en effet et le gouvernement s’en
émeut : on a annoncé à grand renfort de presse
que le fraudeur de métro récidiviste ferait de la
prison ferme.
Si le gouvernement formé en
2002 a immédiatement annoncé pour les jeunes de 13
à 18 ans la construction de prisons et de maisons de redressement
(appelées centres fermés), c’est que les dossiers
avaient été minutieusement préparés
par la gauche.
Quand on pense au jeune délinquant,
on le voit volontiers arracher le sac à main d’une
vieille dame. Mais on constate en fait une augmentation certaine
des coups et blessures (en particulier lors de « bastons »
menées collectivement), des viols à plusieurs et de
la vente de drogue.
La principale innovation du ministère
Perben, c’est l’abaissement de l’âge de
la majorité pénale qui passe de 13 à 10 ans
(10 ans !). Conséquence immédiate : l’abaissement
de l’âge de la délinquance. On sait, dans les
milieux de la justice et de la police, que des parents envoient
des enfants qui justement ne peuvent être gardés en
prison faire les poches des imprudents. Ils enverront désormais
des enfants plus jeunes, voilà tout.
La chancellerie dit vouloir garder
les quartiers pour mineurs dans les prisons d’adultes pour ceux faisant preuve
d’une « très grande dangerosité »,
en clair pour les fugueurs des maisons de correction rénovées.
La loi du 9 septembre 2002 prévoit l’incarcération
dès 13 ans de ceux qui ne se soumettront pas au règlement
des centres fermés. On s’en serait douté.
Comment faire avec les jeunes délinquants
? Nous n’en savons rien (on pourrait commencer par les interroger).
Mais on sait comment accroître leur colère, rendre
les adolescents bien plus violents, les pousser au pire : on
rouvre les maisons de correction. Les centres éducatifs
fermés pour les jeunes à partir
de 13 ans sont « des établissements publics ou
privés habilités [...] dans lesquels les mineurs sont
placés en application d’un contrôle judiciaire
ou d’un sursis avec mise à l’épreuve [...].
La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint [...]
peut entraîner le placement en détention provisoire
ou l’emprisonnement du mineur. »
La loi prévoit également
l’instauration d’une procédure de jugement rapide
« à délai rapproché » et les
professionnels de s’inquiéter de ce que ces jugements
aussi capitaux pour la vie des enfants ne s’appuient que sur
des actes de police.
Les historiens ont été
renversés de l’amnésie de nos gouvernants. Tous
ceux qui ont étudié l’histoire des maisons de
redressement savent combien elles ont généré
chez ceux qui y sont passés de la pure barbarie. L’enfermement
est en soi une violence. Il ne peut qu’engendrer un sentiment
de révolte.
Vouloir « protéger les
jeunes d’eux-mêmes » est un aveu : en
eux se tapit un ennemi à abattre. Les experts en bonne éducation
pensent comme des huîtres et en restent à ce degré
zéro de la pensée : respect de l’autorité,
discipline, menaces et punition.
L’idée que certains
puissent élever un enfant jusqu’à lui-même
sans jamais le punir ne les effleure pas ; qu’on puisse
s’adresser à lui, éventuellement lui faire des
reproches sur le ton qu’on prendrait avec un ami très
cher pour lui parler de quelque chose qui ne va pas appartient à
un autre monde ; qu’on ait à cœur de lui
présenter ses excuses quand on s’est laissé
aller aux invectives leur semble niais. Ils ne voient même
pas ce qui crève les yeux : l’obéissance à
la loi, c’est ce que les jeunes connaissent le mieux ; dans
les centres fermés comme dans les rues, ce sont les chefs
de bande qui la leur font intégrer. C’est d’être
uniques qu’ils ont besoin. Un enfant qui se structure dans
l’enfermement n’aura d’autre repère que
l’enfermement et de cesse que de retourner entre les quatre
hauts murs.
Les adolescents jetés dans
les prisons et les centres fermés seront condamnés
à être privés d’amour, ils n’auront
même pas les bras d’une petite copine pour les consoler
et, qui sait, leur apprendre à se laisser aller à
un peu de douceur (quant aux jeunes homosexuels et homosexuelles,
nous n’osons penser à la rééducation
et aux équipes soignantes qu’ils et elles devront affronter).
De toute façon, sous la férule de gens payés
pour les surveiller, entourés de seuls camarades partageant
la même misère sexuelle, tous vivront une puberté
bien tordue, une « sexualité de taulard ».
Le discours sécuritaire sème
le vent. Il récoltera des tempêtes sur des incendies.
La France actuelle rêve de
la « tolérance zéro » à
l’américaine. La population incarcérée
aux États-Unis a augmenté de 80 % de 1990 à
2000. Plus cette répression se durcit et plus la criminalité
augmente. Les États-Unis restent attachés aux exécutions
capitales malgré la forte mobilisation d’une minorité
américaine qui se bat pour que disparaisse ce symbole de
la vengeance. 71 hommes et femmes, sains d’esprit ou
reconnus malades mentaux, ont été exécutés
en 2002. En réalité 3 581 individus avaient été
condamnés à mort cette même année dont
74 âgés de 17 ans ou moins (quinze ou seize ans !).
Les États-Unis restent le
modèle des cow-boys du monde entier. Bientôt, pour
les petits délits, l’Europe connaîtra le pilori
remis au goût du jour Outre-Atlantique sous forme de déambulations
dans la ville avec une pancarte où est inscrit le motif de
la condamnation. C’est aussi là-bas que très
officiellement il y a beaucoup plus de malades mentaux dans les
prisons que dans les hôpitaux psychiatriques. Le sens de l’Histoire...
Mais face à cette dérive
qui guette l’Europe, comment ont réagi les pouvoirs
publics ? On condamne à d’interminables peines
de prison de grands délirants, des malades qui comparaissent
devant le tribunal bourrés de neuroleptiques. Comment est-ce
possible ? Dans le Code pénal d’avant 1993, l’ancien
article 64 permettait de considérer un malade mental comme
irresponsable sur le plan pénal. Dans le nouveau Code, le
second alinéa de l’article 122-1 stipule que l’auteur
d’une infraction est désormais punissable même
s’il est atteint de graves troubles psychiques, « toutefois
la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle
détermine la peine et en fixe le régime ».
Dans l’esprit du législateur, cette phrase permettait
donc d’accorder des circonstances atténuantes. Or c’est
exactement l’inverse qui se produit ; aux yeux des jurés
et des juges, la maladie devient circonstance aggravante et les peines sont bien plus lourdes
pour ceux qui en souffrent.
Mais tout s’arrange. La loi
Perben (art. 48) permet l’hospitalisation avec ou sans
consentement des détenus atteints de troubles
mentaux ou psychiques. Sont donc en voie d’être créées,
au sein des hôpitaux psychiatriques, des unités spécifiques
pour des détenus, lesquels seront hospitalisés d’office
par la préfecture, ce qui permet de contourner les dispositions
européennes qui, tirant les leçons de ce qui s’était
passé contre les dissidents en URSS, interdisent le soin
forcé en prison.
Chapitre
précédent
| Haut
de page
| Chapitre
suivant