logo
 
 
Accueil arrow Textes arrow Pourquoi faudrait-il punir ? arrow Au rythme de l’histoire, la valse des idées
Menu principal
Accueil
Textes
Bibliographie
Liens
Archives du forum
Identification





Mot de passe oublié ?

Au rythme de l’histoire, la valse des idées Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Administrator   
06-02-2007

On a d’abord puni pour bien montrer aux dieux qu’on prenait leur parti contre ceux qui, volontairement ou non, les offensaient.

Les premiers codes sumériens nomment, classent les infractions et échelonnent les peines en fonction de la faute (code d’Ouroukaniga rédigé vers ~2400), mais il faut attendre l’époque romaine pour que le droit soit rationnalisé dans ses moindres détails et devienne en grande partie une vue de l’esprit, car dans les faits, il demeure, et jusqu’à nos jours, foncièrement sentimental dépendant toujours du degré d’émotion provoqué par le scandale (en France longtemps on a brûlé la langue des sacrilèges ; en 2002 dans un pays très civilisé comme le Nigeria, on lapide les femmes adultères). Les sanctions n’apparaissent exagérées que lorsque l’infraction elle-même est en voie d’être décriminalisée.

*

*     *

Les philosophes se sont donné du mal pour justifier le châtiment (on peut remarquer que la clémence n’a aucun besoin d’être justifiée et qu’on s’est partout et toujours incliné devant les exemples qu’en a donné l’histoire).

Pour tenter de faire admettre qu’il est nécessaire de faire du mal à qui a fait du mal, trois types d’arguments sont mis en avant par ceux que nous appellerons les légalistes, les sociétaires-réalistes et les humanitaires.

1) La pensée légaliste

La Loi est la Loi, même si elle paraît injuste, elle a sa raison d’être. Vu la petitesse des hommes, sa force vient de la seule sanction. La Loi dit où est le Bien, elle vient de Dieu, de la Nature ou de l’Humanité (en tout cas d’un mot avec majuscule qui dit sa transcendance). Ce Bien est donc universel. De même qu’on doit obéir à la Loi, on doit punir qui la transgresse. Ainsi le veut l’Ordre des choses. Les légalistes sont hommes de foi. Ils croient vraiment à ce Bien universel.

Le problème n’est pas tant celui du Bien – nous pouvons admettre que chacun veuille bien faire pour vivre pleinement au mieux – que de l’universalité de ce Bien. Le Bien de tel meurtrier, c’est de se débarrasser de cette mère qui l’empêche d’exister, le Bien de tel terroriste de déstabiliser un gouvernement pour un autre « plus respectueux des droits de l’individu », le Bien de tel souverain d’écraser « l’axe du Mal », le Bien d’un tueur en série de « tuer ces salopes qui font souffrir les hommes »...

Mais, pour les légalistes, le Bien étant ce qui est dans la Loi, la question de son universalité est résolue. Le Bien universel est totalitaire, mais ce n’est pas grave puisque c’est le Bien. Les légalistes ne peuvent littéralement pas concevoir que certains s’insurgent contre une phrase telle que « Tout homme a le droit de respirer » ; il leur semble aller de soi que chacun pense en termes de droits, d’autorisations et de devoirs. (Mais par ailleurs, ils n’hésitent pas à supprimer sans état d’âme ce « droit de respirer » lorsqu’il s’agit de punir quelqu’un ou un pays.)

Les légalistes et autres supporters des Droits de l’Homme se réclament volontiers de Kant : grâce à sa raison, l’homme qui se plie volontairement à la loi morale y gagne en liberté intérieure ; il n’a plus de souci à se faire puisqu’on a pensé pour lui (c’est la grande liberté du soldat de deuxième classe rampant sur un champ de mines par rapport à celle du général qui, lui, doit réfléchir). Condamner celui qui a transgressé la loi morale, c’est le faire bénéficier du bon discernement de tous, c’est le considérer comme digne de l’exigence humaine la plus haute.

Hegel ira plus loin que Kant. Peu importe le contenu des lois, ce qui est absolu, c’est la Loi elle-même car seul l’État et donc ses institutions garantissent la liberté des individus.

2) La pensée sociétaire-réaliste

Elle se veut purement pragmatique. Il faut s’organiser pour vivre en société. Celle-ci repose sur l’adhésion de gré ou de force à des valeurs communes. Si on ne joue pas le jeu, la Société vous rejette, ce qui signifie qu’elle vous tue ou vous bannit hors de la communauté (en exil ou en prison). La Justice doit conforter chacun dans l’idée que la Société le protège s’il respecte ses règles, lesquelles varient suivant les pays, les époques, les modes.

On corrige un criminel comme on corrige, chez ces gens-là, un chien ou un enfant. Pour lui apprendre. La peur de la correction ne fonctionne que sur les plus conformistes et les plus fragiles. Dans le domaine de la délinquance, elle agit en sens contraire : les « durs », à plus forte raison les plus rebelles, affirment très fort qu’ils n’ont pas peur de la punition. Il est vrai qu’elle les stimule souvent. À pragmatique, pragmatique et demi : ce qui compte, c’est de ne pas se faire prendre, de jouer serré. Car il s’agit d’un jeu.

Dans la vision sociétaire-réaliste, pour vivre en harmonie, chacun doit respecter les règles, évidemment contingentes et conventionnelles, le fameux contrat social. C’est bien joli de nous parler de siècle en siècle de règle du jeu, mais il y a toujours eu des individus que ce jeu n’intéressait pas. Ils peuvent assurément s’abstenir de lire sur une chaise-longue au milieu du terrain de rugby comme éviter de manger leur casse-croûte sur la table de bridge. Mais pourraient-ils donc aller dès lors que la planète tout entière n’est qu’un immense terrain de rugby ou une table de bridge où se déroule une partie sans fin ?

Mais c’est le type de remarque qui ne peut ébranler les sociétaires-réalistes. Car tant pis pour les rares asociaux : la seule chose qui compte c’est la Société qui a une vie, une vie qu’il faut préserver, elle peut en effet mourir, être remplacée par une autre. La Société est composée d’individus-fourmis qui n’ont d’autre raison d’être que celle de lui appartenir.

Réalistes, beaucoup de sociétaires constatent que les conditions de vie modifient le comportement des délinquants. Ils peuvent aussi bien entourer de chevaux de frise un « quartier difficile » et renforcer la police par des troupes militaires qu’y mettre des éducateurs, y développer l’aide scolaire, y construire une salle de concert et faire effectivement baisser ainsi le taux de la délinquance.

Les sociétaires-réalistes veulent l’efficacité, c’est pourquoi le crime ni le criminel n’ont, en soi, aucune importance. À tel point qu’ils ne voient aucun inconvénient à faire entrer dans le Droit ce que, dans ce domaine précis, l’on peut considérer comme une pure aberration : le concept de dangerosité. On en arrive à punir des individus susceptibles d’agir dans un sens que réprouve la Société. Les sociétaires-réalistes placent de grands espoirs dans les progrès de la génétique.

À première vue, ils semblent très opposés aux légalistes. Pourtant existe un point de jonction : la Société est le Grand Tout dont les individus ne sont que les parties. Elle est aujourd’hui aussi sacrée que l’était l’idée de Dieu, elle est l’Absolu et la Loi est son émanation. C’est l’échec de l’athéisme.

Pour les très rares athées, comme Max Stirner (1806-1856), l’individu vivant dans la Société peut toujours, s’il en a la volonté, refuser d’appartenir librement à ce conglomérat féroce. On ne peut échapper à la Société ni vivre sans elle, mais on peut penser par soi-même. Rien ne nous empêche, secrètement ou non, de la combattre comme on lutte contre la mort ou les injustices. Avec ou sans violence. Un sourire paisible ou ravageur sur les lèvres et dans l’esprit. Chacun seul avec des alliés possibles.

3) La pensée humanitaire

L’individu qui a fauté est forcément très malheureux. Le châtiment va lui permettre de se racheter ; en « payant sa dette » au prix de sa souffrance, il pourra « refaire sa vie ». La prison est une retraite où il comprendra ce que sont le bien et le mal, où des professionnels vont s’employer à le culpabiliser le mieux possible pour l’éduquer, entendons pour l’amener à une bonne conduite. Pour ce faire, le conditionner, le dresser, l’instruire et transformer les prisons stériles en utiles camps de rééducation. Du siècle des Lumières, les humanitaristes ont hérité une indéracinable foi en l’Homme ; les institutions sont le fruit de la pensée des hommes et nous devons à travers elles admirer l’intelligence humaine. On peut, bien sûr, on le doit même, les améliorer. Car on va vers un mieux, c’est « le sens de l’Histoire » ; les progrès techniques vont de pair avec les progrès « humains », c’est-à-dire... de la morale. « Un jour, toute guerre sera interdite. » (C’est bien possible en effet, mais elles n’en seront pas moins atroces. Probablement pires.) Les humanitaires affichent souvent ainsi un fond de candide optimisme.

Contrairement à ce qu’affirment trop vite leurs détracteurs, ils ne répugnent nullement à la violence quand c’est pour la bonne cause, « contre les ennemis de la liberté ». La notion d’ennemi de la liberté, on s’en doute, demeure infiniment floue et chaque humanitariste se fait son idée de ceux qu’on devrait mettre hors d’état de nuire. Ce sont ces animaux nuisibles, ces hommes sans humanité, ces sous-hommes qu’il faut incarcérer. C’est regrettable – et il ne faut pas les faire trop souffrir –, mais néanmoins nécessaire. Hélas.


Moralistes légalistes, sociétaires-réalistes, et enfin adeptes d’une pensée humanitaire ont certes des arguments, mais aucun n’a su nous convaincre.

 
< Précédent   Suivant >
Derniers articles

 
 
Conception & réalisation JLM joomlabox
© 2024 Mouvement abolitionniste des prisons et des peines
Joomla! est un logiciel libre distribué sous licence GNU/GPL.