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Cruauté toute particulière de la prison Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Administrator   
06-02-2007

Pendant des siècles, les geôles n’étaient conçues que dans le but de mettre quelques jours en sûreté ceux qu’on allait juger, supplicier ou exécuter, à moins que le condamné n’attende un convoi vers les mines, les galères ou le bagne. C’est la Révolution française qui a introduit l’incarcération comme une peine en soi. Officiellement la prison d’aujourd’hui doit remplir trois rôles : surveiller, punir, réinsérer.

La surveillance se veut une arme effrayante ; il est demandé à chacun de rendre compte de ses gestes tout au long de la journée.

La punition est ce que la prison fait de mieux. Elle est la « peine privative de liberté » par excellence. En ôtant radicalement à quelqu’un les conditions a priori de toute existence, le temps et l’espace, on annihile le condamné. Une condamnation à vingt ans, c’est 175 000 heures de mort à vivre. Un no man’s time. « Cette punition doit tirer son efficacité de l’ennui ou plutôt du harassement moral causé par la monotonie des marches continuelles, interrompues seulement par de courts intervalles. » (Règlement des prisons de 1839 à 1945). Certains s’en tirent ? Oui, comme d’un cancer du foie. On est tenté alors de croire au miracle.

La plupart d’entre nous ne supporteraient pas d’être enfermés plus de quelques heures, même chez eux.

Imagine-t-on l’horreur qu’on éprouverait pour un criminel qui aurait séquestré et constamment humilié sa victime pendant trois mois, vingt ou trente ans ?

La prison, c’est avant tout celle de la petite délinquance, des gens qui passent là quelques mois dans les pires des établissements pénitentiaires, les maisons d’arrêt. L’angoisse de l’attente du procès, la promiscuité, la dureté du personnel qui « en voit trop passer » et ne sait jamais à qui il a affaire, leur dégoûtante vétusté, tout concourt à les rendre proprement infernales. D’autant que la Justice se montrant de plus en plus sévère, on ne saurait s’étonner de ce qu’en retour la violence augmente dans les cités et surtout dans les concentrés de cités que sont les taules.

Les centres de détention sont plus modernes ; on y effectue les peines moyennes (entre 5 et 15 ans) ou les dernières années d’une longue peine. Le régime y est plus souple, on peut y obtenir une permission.

Les centrales (une douzaine en France), les gros monstres où l’on incarcère les longues peines, sont de véritables citadelles. Là sont les « durs », souvent condamnés à perpétuité qui n’ont plus rien à perdre. Ils sont redoutés des surveillants d’où un étrange équilibre des forces qui rend souvent l’ambiance moins perverse et insupportable que dans les lieux précédents.

Selon qu’on est dans un établissement pour de longues ou de courtes peines, qu’on a le sida ou non, des liens avec l’extérieur ou qu’on est seul au monde, qu’on est un homme ou une femme, un individu sensible ou non, on n’accomplira pas son temps de détention de la même façon. C’est d’ailleurs l’une des aberrations de la prison que celui-ci soit plus « puni » avec deux ans que cet autre avec dix. Mais toutes les condamnations à la détention ont un point commun : elles se veulent « infamantes », c’est-à-dire déshonorantes et avilissantes. La subordination permanente qu’on fait subir au prisonnier est un stigmate, cette marque qu’on appelait justement d’infamie jadis appliquée au fer rouge.

Lieu d’asservissement, la prison ne peut que pervertir ou démolir les hommes. On y a le droit d'exiger du condamné n’importe quoi. Et plus il acceptera n’importe quoi et plus il fera preuve d’« aptitude à la réinsertion ».

En fait, il est clair que l’enfermement carcéral n’a qu’un but : casser le bonhomme. Il est fréquent d’entendre des éducateurs affirmer qu’il faut « briser leur orgueil en les mettant devant leur échec ». Sans parler des discours de quelques psychothérapeutes sur la nécessité de « leur faire intégrer la loi » en les forçant à respecter tout règlement, entendons n’importe quelle injonction d’un surveillant.

Il existe un moyen simple d’obtenir du détenu sa soumission. Le prisonnier n’a qu’une seule raison de vivre : sortir. Or il peut être libéré à mi-peine s’il n’a jamais été condamné auparavant, sinon aux deux tiers de la peine. Il peut être libéré. Mais... Mais les autorités ne le laisseront sortir que lorsqu’elles le jugeront bon, quand il aura payé les frais de justice, quand il aura montré patte blanche, quand il se sera écrasé.

À moins qu’en fin de peine on ne l’envoie dans une « unité pour malades difficiles », l’un des quatre terribles hôpitaux psychiatriques-prisons d’où l’on ne sait si l’on sortira un jour.

Surveiller, punir, mais aussi réinsérer... Le propre de la prison étant la désinsertion absolue, toute « insertion » ne peut nécessairement se faire qu’en dehors de la prison et malgré elle.

En réalité, la « réinsertion » n’est qu’un mot du vocabulaire moderne pour « amendement ».

Le personnel pénitentiaire doit se justifier à ses propres yeux. C’est un peu gênant d’être des gardiens. On fait donc comme s’il ne s’agissait pas de surveiller des hommes mais des sous-hommes, des brutes sans conscience. Il se trouve en effet que le détenu semble peu enclin au remords, sans doute parce que la représentation des faits lors du procès n’a pas le moindre rapport avec ce qu’éventuellement il se reproche. Il y a « erreur sur la personne », ce qui le dédouane de son acte. La réinsertion supposée commence donc pour le personnel à « conscientiser » le détenu, à lui faire honte sinon de son acte (ce qui semble difficile) du moins de son existence. Pour qu’il perde toute fierté, il devra demander la permission pour tout. Pas un seul de ses gestes qui ne résulte d’une autorisation. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il n’est plus rien.

 

De quoi devenir dément. On estime à 30 % le nombre de détenus malades mentaux. Bien sûr, un bon nombre d’entre eux souffraient déjà de troubles psychiatriques avant leur incarcération. C’est dû en grande partie à la politique actuelle des hôpitaux psychiatriques qui ne pouvant plus garder indéfiniment enfermés les fous, ce qui est une bonne chose, jette à la rue les « cas lourds ». S’ils troublent l’ordre public, c’est du ressort de la police. Avec à la clef un discours sur leur « droit à la citoyenneté ». Mais cela ne peut expliquer la montée prodigieuse des cas de folie en prison. Certes la France détient le record mondial des suicides, des dépressions, de la consommation de psychotropes. Mais cela non plus ne suffit pas à comprendre pourquoi tous les trois jours quelqu’un se tue en prison, souvent au mitard.

Les psychiatres de la pénitentiaire, après les criminologues, osent enfin dire que l’allongement spectaculaire de la durée des peines est à l’origine de ce désespoir qui brise toute raison.

L’un des principaux dangers est celui du délire mystique. À juste titre, les aumôniers catholiques et protestants se méfient des conversions spectaculaires ; ils ont les siècles d’expérience que de jeunes aumôniers musulmans n’ont pas encore. La prison est le lieu idéal de radicalisation de la haine. Quand un homme désaxé est gavé de son indignité, il ne demande pas mieux que d’accomplir son salut au nom d’une autre justice. Qu’aura généré la prison sinon un certain goût de la mort rédemptrice ? Et six mois auront ici suffi.

Sains d’esprit ou non, les détenus vivent quelque chose qui leur reste incompréhensible et lorsqu’ils répèteront : « J’ai fait une connerie, je paye » ce seront les mots soufflés par les éducateurs ou les psys pour « faire bien » et donc les rapprocher de la sortie. On attend d’eux qu’ils assument. Ils assumeront tout ce qu’on voudra pourvu que ce soit un bon point pour la libération.

La sortie... Ils ne sont pas les seuls à ne penser qu’à elle. Quand les juges condamnent quelqu’un à la détention, ils ravagent en passant la vie de quelques autres : les familles des prisonniers sont les victimes oubliées de la Justice. Mais la moitié des détenus ne reçoivent aucune visite d’un proche durant leur incarcération et plus les années passent et moins on vient les voir. Parfois pourtant, des gens qui s’aiment vivent le déchirement. Que de femmes de détenus se font un cancer ayant usé toutes leurs forces dans l’angoisse et le chagrin ! Ne parlons pas des mères incarcérées qu’on ne peut nourrir que d’anxiolytiques. L’amour, les enfants, la recherche éperdue à travers les petites annonces de la consolatrice possible tiennent dans les taules une place essentielle.

Si quelques-uns vivent d’éminentes (et éphémères) passions platoniques, les autres – et les mêmes aussi d’ailleurs – sont condamnés à une sexualité crasseuse.

Parmi les humiliations les plus révoltantes de la prison, le viol constant de toute pudeur. Vous devez vous exposer nu, être « fouillé à corps », aller aux toilettes devant ceux qui partagent votre cellule, vous rendre aux douches sans portes, vivre sous les contrôles effectués à travers l’œilleton. Votre courrier est lu, votre cellule régulièrement inspectée.

C’est une idée très communément admise que la prison est inhumaine et parfaitement odieuse pour un innocent, mais qu’elle est justifiée pour les coupables. Qu’elle soit « injuste » ou « juste » peut encore se concevoir, mais odieuse pour les premiers et pas pour les seconds est insensé.

 

Les défenseurs de l’incarcération ont deux arguments. Le premier c’est qu’il faut punir. Les coupables ont fait souffrir, ils doivent souffrir à leur tour. On élimine ceux qui gênent comme le fait n’importe quel truand. On supprime les délinquants, c’est cela la prison idéale. Et pour être sûr que nul n’interviendra pour faire évoluer ce temps immobile, on a inventé une super-peine : la peine de sûreté.

Deuxième argument, celui de la sécurité. On met les délinquants en prison uniquement pour s’en protéger (on veut même bien leur faire une prison toute dorée). Mais c’est raté puisqu’on en sort ; la mort que dispense la Justice n’arrache que quelques années ou quelques décennies d’une vie. L’échelle des peines explique qu’une multitude de condamnations à quelques mois encombrent les prisons avant de devenir de bien plus longues peines par le phénomène presque « naturel », vu le contexte, des récidives. La prison ne peut donc garder la société des malfaiteurs puisque chaque jour l’administration pénitentiaire déverse dans la rue autant de gens qu’elle en accueille. Chaque jour sortent des individus plus pauvres, plus furieux, plus désespérés et plus avilis qu’ils n’étaient entrés. 25 % des sortants de prison se retrouvent sur le trottoir de leur liberté avec moins de 15 euros sur eux. Et le récidiviste apparaît comme l’incarnation d’une pure perversité ?!

Que celui qui n’a pas d’argent s’en procure d’une manière ou d’une autre, c’est bien compréhensible. Beaucoup plus perturbant celui dont la prison a fait un déséquilibré. En prison, on enferme des hommes excités et tout, absolument tout, concourt à les énerver davantage.

Cette mise à l’écart pour quelque temps des délinquants est une pure superstition. La prison ne nous protège en rien du tout.

On peut se demander d’où vient cette croyance insolite selon laquelle on met les individus dangereux en cage pour qu’ils deviennent inoffensifs. Aussi saugrenu que cela paraisse, un bon nombre voient dans la prison une sorte de sombre retraite où le remords taraudant le délinquant fabriquerait un être fichu, mais à jamais incapable de reprendre une activité criminelle.

Autre billevesée du même ordre que le remords rédempteur : on pourrait en prison apprendre un métier (ou plus coté encore « faire des études »). Certains condamnés tirent parti de ce temps mort qu’est leur incarcération comme dans les camps de concentration soviétiques ou nazis on se récitait des poèmes ou des tables de multiplication quand on s’apercevait qu’on glissait dans l’idiotie. Réflexe de survie. Un sur mille. Mais le goût d’apprendre n’est pas inné. Que des êtres d’exception profitent de la prison pour étudier le droit ou faire de la menuiserie, c’est du détournement de haut vol, du grand art.

 

Le besoin de sécurité est réel et il est aussi inepte que risqué de se moquer de la peur des plus faibles et des plus pauvres. Se servir d’elle, les tromper sur ce danger d’un monde partout en voie d’endurcissement pour y substituer le dangereux délinquant, c’est de l’impudence. La prison ne met en sécurité personne, elle génère agressivité et rancune. La vengeance ne peut appeler que la vengeance.

Que le violeur soit séquestré, humilié, battu par ses codétenus, condamné au suicide ne mettra personne à l’abri du viol. La question n’est pas « Comment punir ? » mais « Comment n’être jamais ni violeur ni violé ? ».

 

Michel Foucault a été d’une superbe rigueur lorsqu’il a démontré que depuis sa création des esprits modernes cherchaient à penser une meilleure prison et qu’elle ne se maintenait, toujours aussi intolérable, que grâce à eux. Tout ce qui peut rendre la détention moins dégradante est bienvenu. Il est vrai pourtant que les bien-pensants qui dénoncent dans les prisons « une zone de non-droit » et veulent y remédier ne semblent pas avoir compris que le droit, dehors comme dedans, est celui du plus fort : les gardiens n’ont pas le droit de frapper les détenus et cela se fait bien évidemment. Quant aux droits supposés élémentaires de tout être humain comme celui de se déplacer, de vivre avec ceux qu’on a choisis, d’avoir une vie affective et sexuelle, de jouir de la nature, ils sont par essence antagoniques à la séquestration des personnes.

La prison n’est pas comme une torture, elle est une torture réelle : la goutte d’eau sur le crâne. Pas de blessure et pourtant une énervation qui rend fou, qui vous fait préférer mourir. La détention n’est pas devenue une torture par dévoiement de son sens ; son but intrinsèque en tant que peine est de faire souffrir les condamnés. Comme la peine de mort, la peine de prison est irréversible, les années perdues le sont pour toujours.

 
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