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La punition ne sert à rien, elle est pernicieuse Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Administrator   
06-02-2007

A) Elle est inutile

Les juristes reconnaissent à la peine cinq fonctions : rétribution, intimidation, exemplarité, amendement et élimination ou neutralisation temporaire.

a) La rétribution

Le sens premier (mais dernier sans doute aussi) est religieux : les bons sont récompensés, les méchants sont punis. Qu’est-ce qui est bien ? Soit ce que veut Dieu, soit Dieu n’existe pas et c’est l’homme qui décide de ce qui est bien ou mal en fonction des civilisations où il évolue. Au mépris de tout bon sens, la rétribution est l’affirmation que dans cette vie le méchant est puni et l’homme bon au tableau d’honneur.

On ne punit qu’un inférieur, celui que l’on veut placer en situation d’infériorité : l’enfant, le subalterne, l’esclave ou l’animal. Un accusé est toujours traité en inférieur. D’autant que c’est un pauvre (quand l’inculpé est riche, le pays est sens dessus dessous, « c’est à n’y rien comprendre »), le pauvre n’a pas de mots pour expliquer, se défendre. Le vol est incomparablement plus répandu et plus coûteux pour la société dans les hautes sphères des affaires et de la finance ; ces détournements ingénieux ne scandalisent pas grand monde. Le vol comme le meurtre sont très admirés quand ils sont bien faits ; ce qui reste choquant pour la morale, c’est en fait le côté trivial de la délinquance.

Mais il est vrai que l’homme craint d’être tué. Nous vivons à la merci de tous ceux qui nous entourent, au xxie siècle comme aux temps les plus reculés de la préhistoire. De toutes les espèces, l’espèce humaine est la seule à s’entretuer de façon de plus en plus aléatoire au fur et à mesure qu’elle évolue. Mais il nous reste heureusement quelque chose des grands singes et c’est ce qui nous protège en temps de paix de trop d’homicides. Il y en a quelques-uns pourtant. La police, en particulier au service des disparitions, sait fort bien que de nombreux crimes de sang, souvent commis par des proches de la victime, restent impunis. Le crime parfait existe.

Sans parler du quidam outré de s’être fait cambrioler qui n’hésite pas un instant à « rouler » aussitôt sa compagnie d’assurances ; mais voleur, lui ? Comme le larron entré chez lui, il estime que « voler les riches », c’est se rendre justice.

La criminalité réelle est tellement plus importante que la criminalité réprimée qu’on peut se demander à quels naïfs s’adressent les représentations que sont les procès et les prisons.

« Crime : en Droit, infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante. » (Petit Robert). En soi, le crime n’existe pas. Infiniment plus d’agressions que celles qui sont passibles des tribunaux détruisent nos vies. Mais cela rassure de « tenir le coupable ». Ni plus ni moins que dans certaines tribus, dites primitives, où l’on va réclamer dans une peuplade voisine le prix du sang pour celui qui, mort de maladie, n’a pu qu’être « envoûté ». Question de croyance.

La question pour un citoyen n’est pas de savoir où sont le bien et le mal, à plus forte raison ce que ces mots signifient, mais de se plier aux lois. Pour le Droit, les consciences individuelles et leurs alarmes n’ont pas la plus petite importance. Le Droit est une convention fragile qui ne repose que sur la seule volonté de tous d’obéir (par commodité). Une société ne peut survivre sans cette soumission. Lois antisémites d’une époque, loi Gayssot d’une autre : libre à certains de les trouver scélérates, mais les transgresser entraîne un châtiment aux pénibles effets.

Seulement voilà : l’auteur d’un délit ou d’un crime a souvent dû choisir entre deux lois : un jeune ne peut se permettre de braver les lois sexistes de son clan sans en subir les conséquences, une punition sévère : il doit participer à la « tournante » ou à une « expédition punitive contre des pédés ». Refuser, c’est être un insoumis, ce qui entraîne forcément des suites fâcheuses. Normal. La loi au-dessus des lois est celle de l’État et personne n’essaie de nous faire avaler que c’est la meilleure, on tente simplement de nous montrer qu’elle dispose de moyens de coercition plus étendus et plus impitoyables que ceux des autres brutes. Mais cela devrait quand même faire s’interroger ceux qui voient dans la sanction une exigence de la rétribution.

« On ne peut quand même pas laisser libres d’agir les criminels ». Répétons que la grande majorité d’entre eux ne sont jamais arrêtés ni punis et que les criminels, un jour ou l’autre, retrouvent leur liberté. La question pourrait prendre un autre sens si l’on se demandait comment empêcher de nuire un individu dangereux. A priori on ne voit pas pourquoi celui qui aurait commis telle action serait plus dangereux que celui qui ne l’aurait pas encore commise, c’est-à-dire n’importe qui. Nous avons déjà dit plus haut qu’un individu ne devenait dangereux que dans un certain contexte ; nous pouvons tous l’être. C’est sur les situations que nous pouvons intervenir, pas sur « celui qui a agi », et à plus forte raison pas sur « celui qui n’a pas encore agi ».

« Et les tueurs en série ? » L’expression même laisse supposer qu’on range dans cette catégorie des tueurs (non professionnels) agissant mécaniquement, or non seulement les assassins qui répètent leurs crimes sont rarissimes mais chacun de ces homicides est unique et affolant pour son auteur (c’est le public qui tient à faire de lui un homme machine). Mais admettons qu’on puisse de loin en loin trouver des meurtriers « prêts à recommencer ». Les plombiers cannibales existent et aussi les siamois et autres monstres. La tératologie nous enseigne ceci : que rien n’est plus rare qu’une rareté. Face à un couple siamois, à un hermaphrodite, que faire sinon inventer des rapports différents ?

Punir celui qui a tué, c’est seulement lui montrer notre colère (éventuellement le tuer), notre agressivité épouse la sienne. Et il ne sert à rien de s’abaisser chaque fois jusqu’à ce degré de notre misère.

L’indignation n’est pas la même face à la délinquance courante où c’est notre impuissance qui nous désespère. Pourtant, en ce domaine, on peut justement agir politiquement (agir dans la cité). Nous savons fort bien que le voleur préférerait être marchand de biens ou présentateur de télévision et que la délinquance augmente en fonction non de la pauvreté mais de l’écart grandissant entre pauvres et riches. Dans ce cas, ce n’est plus tant l’envie qui anime le voleur que la rébellion.

La plupart des jeunes ignorent comment se sortir de cette vie couleur de béton. À quinze ans, la détresse suinte déjà de chaque souvenir. Se mettre en rupture de ban permet juste de connaître quelques rares instants la fierté
d’avoir su dire non à une vie trop moche. Parfois il n’y a même pas eu de rage, seulement un commencement de chagrin.

Des juges souhaiteraient pouvoir condamner le crime sans condamner son malheureux auteur, mais ils ne sauraient se cacher que le blâme en lui-même est déjà violent dès lors que quelqu’un est accusé d’avoir commis un délit ou une erreur. Dans l’état actuel des choses, le procès est toujours une cérémonie de dégradation, il vous couvre d’opprobre quand bien même vous seriez relaxé à la fin des débats.

Chacun fait ce qu’il peut à un moment donné. Ce qu’il peut dépend de l’estime qu’il a de lui-même. Rien n’est plus urgent que de lui rendre cette estime, et au prix fort. Avant de condamner. Avant de juger. Avant d’accuser. Avant toute autre chose.

b) L’intimidation

On ne peut nier que la peur du gendarme influence certains comportements (sur la route par exemple), mais le châtiment ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui sur des rails ne risquent pas de s’écarter du bon chemin. Plus le châtiment est lourd plus on est censé s’effrayer, être révulsé. Or au long des siècles, on chercha à tremper un doigt ou des linges dans le sang des suppliciés. En France on dut supprimer les exécutions publiques en 1939 tant le sang des guillotinés déchaînait de scènes d’hystérie collective étrangement plus proches de l’amour que du ressentiment espéré.

c) L’exemplarité

Pour les voleurs, les escrocs, les faux-monnayeurs, la prison représente le risque professionnel. Les métiers périlleux comme ceux de pêcheur ou de mineur n’ont jamais été en mal de main d’œuvre ; tout au contraire ils exercent un fort pouvoir de séduction et un réel attachement de la part de ceux qui les ont embrassés.

Ceux qui ne se laissent pas intimider, les « délinquants » revendiquent leur entrée en prison comme l’intronisation dans le monde des durs. Bien sûr, c’est souvent de la frime. Mais, dans les milieux de la délinquance, c’est une question de dignité que de savoir se montrer beau perdant. Chez les petits loulous, il est bien vu de jurer « La zonzon ne me fait pas peur, à moi », même si la première nuit en maison d’arrêt on claque des dents et qu’on sent pâlir ses reins. Devant ses admirateurs – l’exemplarité ne jouant que dans ce sens –, celui qu’on a libéré tire la leçon de son incarcération en affirmant : « On va me le payer ! »

d) L’amendement

Des naïfs semblent attendre de la prison que le détenu réfléchisse et regrette ce qu’il a fait. Sauf dans ces cas tout à fait exceptionnels, quand il y a mort d’enfant ou de l’être aimé par exemple, le remords est rarissime et l’on peut supposer qu’il serait identique si l’auteur d’un tel acte n’avait pas été arrêté.

Le repentir est lié à une faute. Mais ce qui est faute à ses propres yeux n’a que très exceptionnellement à voir avec la Loi. Le regret qu’éprouve un détenu c’est le plus souvent celui de s’être fait prendre ou d’avoir manqué une affaire en or. Quant à celui qu’on exige de lui au moment du procès, il ne s’agit que de déculpabiliser juges et jurés en validant l’acte d’accusation.

e) L’élimination

De toutes les fonctions de la peine de prison, c’est la seule qui remporte encore les faveurs d’une bonne partie de la population.

Bien des gens seraient d’accord pour faire disparaître les gêneurs et autres fauteurs de troubles, mais « sans leur faire de mal ». Comment pourrait-on imaginer « ne faire aucun mal » à des hommes qu’on prive de liberté, qu’on sépare des êtres par lesquels ils vivent, qu’on coupe de leur passé et de leur avenir ?

« Pendant qu’ils sont enfermés, au moins on a la paix ! » Mais enfin environ 70 000 malfaiteurs sont libérés chaque année. Finalement la question est bien celle-ci : faut-il les laisser sortir ?

 

B) Punir est dangereux

N’importe quel tueur voit bien en prison que la vie d’un homme ne vaut strictement rien. « Mais cette punition, ils l’ont méritée ! » La manière dont on punit autrui révèle toujours jusqu’à quel degré de cruauté on peut descendre. Il serait vain de penser contre ce monde, nous n’y respirons mieux qu’en pensant autrement.

Car on peut concevoir la vie autrement. Nous avons déjà dit que dans certaines familles, il était exclu d’abaisser son enfant par le châtiment, la sanction, la menace, la punition qui sont les armes de celui qui se veut le plus fort contre le faible et ne font passer de génération en génération qu’une chose, le goût pervers des auto-flagellations ou le désir de punir. Bien sûr cela suppose qu’on sache dire non et reprendre l’enfant aimé sans le blesser ; rares sont les parents qui en sont capables.

Un enfant qui n’a jamais connu la clémence lorsqu’il a fait une bêtise n’éprouvera aucune pitié face à ses victimes. De la même façon, celui qui aura été condamné froidement à une peine sévère pour un hold-up n’hésitera pas à tuer tout aussi froidement lors d’un prochain braquage.

La prison appelle la récidive parce qu’elle jette dehors des gens désaxés, miséreux, perdus pour tous, mais aussi parce que beaucoup de délinquants « se sont installés » en taule, que celle-ci est devenue le lieu où ils ont échafaudé comme ils ont pu leur personnalité de « mauvais garçon », qu’elle est l’unique refuge de leur chienne de vie.

 

Lorsqu’on punit, on veut faire expier à quelqu’un sa faute. La douleur infligée au coupable est censée rétablir un équilibre : il faut contrebalancer le crime par une souffrance équivalente. Quelle idée ! À ce compte-là, il serait juste de vitrioler cette femme qui a vitriolé sa rivale, juste de violer l’homme qui a violé.

Ce serait juste mais cruel et imbécile. Pourquoi librement agirions-nous en scélérats au nom de la Justice ? Il est aberrant de penser qu’un mal compense ou annule un autre mal. Il le multiplie. Il touche le coupable, mais aussi tous ses proches.

Quand on fait du mal à quelqu’un, il devient une victime. Les détenus sont tous des victimes, pas « victimes innocentes », mais qu’on le veuille ou non, victimes.

Rares sont ceux, athées ou croyants qui voient dans la justice autre chose que le salaire des bons et des méchants : la possibilité d’une réparation et d’une réconciliation.

Dernière mise à jour : ( 06-02-2007 )
 
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