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L'abolition, par Christian-Nils Robert |
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09-04-2007 |
L'abolition 1 Christian-Nils Robert Extrait de : Collectif "Octobre 2001", Comment sanctionner le crime ? (Ramonville Saint-Agne, Erès, 2002)
L'anniversaire
Nous célébrons cette année un anniversaire. D'emblée, deux questions se posent: Qu'est-ce qu'un anniversaire ? Quelle démonstration voulons-nous entreprendre ? L'anniversaire a pour étymologie le participe passé du verbe latin: revenir. Sur quoi revenons-nous aujourd'hui ? Peut-être sur les bégaiements de l'histoire, ses repentirs, voire ses remords. Nous pourrions alors célébrer les échecs de l'abolition de la peine de mort. Nous pourrions en faire des non-anniversaires: 210e non-anniversaire pour 1791 ou 93e non-anniversaire pour 1908. Nous préférons les majeurs décennaux ou centenaires. Pauvres de nous qui ne célébrons que les vingt ans de l'abolition de la peine de mort ! Il eût été préférable peut-être d'abolir les anniversaires… Et quelle démonstration voulons-nous entreprendre ? Se rassurer, ensemble, confirmer certainement. Cela est nécessaire, indispensable tant les risques sont grands, toujours, de voir réapparaître ce spectre de l’ostracisme, de l'exclusion, de la pensée primitive, du sacrifice. Les crimes exceptionnels le convoquent, les sondages encore le signalent dans une opinion majoritairement "désaffiliée" (R. Castel), bruyante et brouillonne, jusqu'à certains parlementaires qui, dans l'actualité sinistre, profitent d'un achat de voix facile, lâche 2, pour demander son rétablissement. Il faut espérer que les verrous législatifs et conventionnels ne cèderont pas et empêcheront le retour de la peine de mort 3. Mais il nous faut être vigilants, célébrer avec mesure, modération et se méfier des retours velléitaires d'une répression vengeresse. Une génération a aboli. Elle n'a plus vingt ans. Et ceux qui, aujourd'hui, ont vingt ans sont ceux qui, toutes classes confondues, sont les plus favorables au rétablissement de la peine de mort, même en Suisse qui ne la connaît plus depuis longtemps 4. Que décideront-ils demain 5 ? D'autant que les politiques pénales en général sont toutes marquées du sceau de la nostalgie: retour de la discipline stricte, militaire ou capitaliste et laborieuse, de la peine infamante, du couvre-feu, des peines incommensurables (sans mesure commune, irrationnelles et ne respectant pas le principe de proportionnalité, incomparables dans leur exécution et violant le principe de l'égalité de traitement). Nous n'aurons jamais fini de « libérer notre justice de l'emprise de la mort 6 ». Nous célébrons dangereusement un anniversaire risqué mais « les partisans "frénétiques" de l'abolition 7 » le méritent. Il faut maintenant maintenir et poursuivre l'abolition.
Poursuivre l'abolition
L'abolition de la peine de mort fut un symbole, mais un seul, insuffisant. Deux observations empiriques méritent d'être présentées ici. Dès la fin de la décennie 1970, les peines prononcées sont assez nettement attirées vers des durées plus longues que précédemment. Il s'agit là d'une évolution qualitative des condamnations qui ne sera perçue que plus tard par l'effet de stock et que, par euphémisme et par esquive, l'on nommera le "surpeuplement pénitentiaire 8". Mais n'est-ce pas déjà le signe avant-coureur d'une facilitation conjoncturelle de l'abolition de la peine de mort ? D'autre part, quelques auteurs repèrent, dès le milieu de la décennie 1980, le développement d'incriminations accompagnées d'une nette aggravation des clauses punitives 9. Ces deux phénomènes cumulés auront des effets que maintenant l’on peut mieux décrire statistiquement, ce que fait Bruno Aubusson de Cavarlay. En somme, la loi la plus courte (loi du 9 octobre 1981, art. 1er : « La peine de mort est abolie ») cohabite avec des peines toujours plus longues. Tout cela était pourtant prévisible, malgré les paroles sincères de R. Badinter : « L’abolition, à mes yeux, était une question de principe qu’aucun marchandage sur des périodes de sûreté ne devait polluer 10 ». Privé de la mort brutale, le discours de politique pénale ne cesse pourtant, dès lors, d’évoquer la mort lente, la perpétuité, la période dite de sûreté, la peine incompressible, la peine de remplacement, la perpétuité réelle, sans oublier les corrections sévères dans l’octroi des libérations conditionnelles. De deux choses l’une : ou le législateur ignore superbement ce que P. Bourdieu a précisément décrit comme les effets pervers d’une loi 11 ou, le sachant et le voulant, il s’y fie pour, au mieux, ne rien changer, au pire rétrograder. Fallait-il vraiment toucher à la peine de mort et ne décider que l’abolition de cette seule peine ? Plus crûment : les longues peines suffisent-elles à prévenir le retour de la peine de mort alors que son abolition est contemporaine de leur augmentation en qualité et en quantité ? C’est peut-être le lieu de rappeler ces mots cyniques que tout législateur devrait avoir en mémoire : les petites réformes sont ennemies des grandes réformes 12. L’abolition est un vaste chantier entrepris concrètement il y a vingt ans. Mais il faut maintenant poursuivre car si la peine de mort est rejetée selon les nombreux critères prétendus de sa justification et de sa légitimité, il n’y a aucune raison de ne pas mettre en doute les peines privatives de liberté, en un mot la prison. Inadmissible éthiquement, irréversible, arbitraire, ne pouvant répondre à satisfaction aux exigences des préventions générale et spéciale, la peine de mort partage avec la peine privative de liberté un certain nombre de vices. Bien avant « Surveiller et punir », M. Foucault écrivait déjà : « Tout système pénal est au fond orienté vers la mort et régi par elle. […] La prison n’est pas l’alternative à la mort, elle porte la mort avec elle. […] C’est de vie ou de mort, non d’amendement qu’il est question dans les prisons 13. » La peine de mort est ostracisme immédiat et définitif, la prison est ostracisme immédiat et différé. C’est ainsi que l’abolition de la peine de mort apparaît comme l’inachèvement d’un projet de « modernité philosophique » au sens où Habermas l’a définie 14. Le XVIIIe siècle a presque aboli la torture, le XIXe siècle a littérairement aboli la peine de mort 15, le XXe siècle a beaucoup critiqué la prison, sans pourtant parvenir à l’abolir. Mais « il est indéniable que les débats passés sur la torture et la peine de mort ont déjà porté leurs fruits en ce qui concerne le débat sur la prison et jusqu’à l’abolition du système pénal dans son ensemble 16 ». Antigone n’a pas été exécutée. Elle s’est éteinte lentement, confinée, privée de tout 17. On peut donc considérer que l’abolition de la peine de mort a conforté l’illusion de la force dissuasive de la prison et retardé ainsi le calendrier de l’abolition de la prison elle-même. Beccaria en était conscient lorsque, précurseur mais abolitionniste modéré, il plaidait ainsi pour la prison à vie (à mort) : « On m’objectera peut-être que la réclusion perpétuelle est aussi douloureuse que la mort et, par conséquent, tout aussi cruelle ; je répondrai qu’elle le sera peut-être davantage 18. » C’est ainsi que fut sauvée la prison. C’est aussi sous cet angle qu’elle doit être critiquée. Le débat, sur le plan européen quant aux peines perpétuelles, a été abordé en France dans le cadre de la réforme du code pénal, mais rapidement clos, et engagé en Allemagne, en amont de la peine perpétuelle, pour s’attaquer aux longues peines 19. Quelques auteurs sérieux et militants y plaident pour l’abolition de la perpétuité 20 avec un maximum retenu et proposé de quinze ans de privation de liberté. Sur la base d’un projet de révision du code pénal suisse ayant supprimé la réclusion à vie, nous avions déjà proposé douze ans comme plafond, ceci en 1989. Sans succès. De plus, la réclusion à perpétuité a été maintenue au cours des travaux législatifs (à titre facultatif pour trois crimes seulement, sans compter qu’elle figure actuellement dans la clause punitive du crime de génocide récemment introduit dans le code pénal suisse [CPS]). Le Portugal, l’Espagne, la Norvège et Chypre ont aboli la perpétuité. L’Italie avait envisagé de supprimer l’ergastolo. Les débats concernant les peines de la compétence de la Cour pénale internationale ont été vifs à propos de la détention à perpétuité 21, finalement retenue. Un système pénal décapité par l’abolition de la peine de mort, érodé par la progressive extinction de la détention à perpétuité, est indéniablement un système qui s’essouffle par entropie, défini comme « état de désordre croissant d’un système 22 ». C’est exactement ce à quoi nous assistons et « chercher à replacer la prison dans ses logiques et ses fonctions sociales 23 » devient de plus en plus périlleux. On peut évoquer certainement ses stratégies divergentes 24, voire contradictoires et incompatibles, conduisant fatalement à de graves dysfonctionnements. D’où le constat d’une déliquescence certaine en pénologie, selon certains sans précédent dans l’histoire des sanctions pénales. « Nous ne pouvons plus imaginer, pour l’avenir, un système dans lequel la peine privative de liberté garderait le rôle central qui fut le sien pendant trois siècles 25. » Ce qui va nous amener vers un nouvel abolitionnisme, celui qui saura tout à la fois :
- abandonner « l’illusion systématique de la force dissuasive de la prison 26 » ; - se distancer des postulats a-logiques incompatibles avec les principes rationnels de la pensées causale ; - relativiser les effets de l’action symbolique, liée à une pensée primitive dont le droit, en matière de peines, est un gardien fidèle ; je pense au sacrifice et aux différentes formes de mort différée prolongeant la souffrance et exonérant ainsi le sacrifiant de toute responsabilité directe quant à l’issue pourtant fatale pour sa victime ; - s’affranchir d’un système de pensée hygiéniste, apotropéïque 27, calquée sur le modèle du pharmakos et surmonter la superstition du danger surnaturel associé à l’acte criminel et à son auteur.
Mais est-ce vraiment nouveau ou ne se trouve-t-on pas précisément dans la postmodernité avec les résurgences de grandes révolutions (au sens que l’astronomie donne à ce mot et comme d’ailleurs J. Starobinski, soit un retour à un point de départ) qui la caractérise ? Nombreux sont ceux qui ont souligné que la loi du talion fut un immense progrès 28. R. Drai a bien décrit la rupture qu’elle introduit dans la normativité régulatrice des dommages causés à autrui. Le sacrifice d’Abraham l’illustre parfaitement : c’est le passage culturellement capital de la permutation à la substitution 29. Une exégèse confortable, mais exclusivement littérale, nous a conduit à répéter inlassablement « œil pour œil, dent pour dent ». Mais l’esprit de la loi est tout autre : c’est une disqualification de la vengeance et de la rancune, l’affirmation d’un principe d’égalité entre tous, et à l’évidence un œil jamais ne peut remplacer un œil. L’objectif poursuivi est compensatoire, donc substitutif, en tout cas abolitionniste du mal pour le mal, donc une « modalité de passage à un acte juridiquement rationalisé 30 » et la substitution introduit un système de justice régulateur des échanges sociaux, alors que la pénalité pure et dure les inhibe, les dramatise. Certains ont pu écrire que le droit pénal n’était nullement pacificateur. C’est vrai. C’est un droit de guerre, longtemps dominé par la peine réservé aux prisonniers, aux esclaves 31. La civilisation du droit pénal, mais non sa privatisation, reste à faire par un abolitionnisme soutenu, raisonné et militant 32. Déjà, les murs de la prison sont fissurés mais encore debout. Certes, les critiques du début des années 1970 – notamment les différents mouvements nés autour de la pensée de M. Foucault – n’ont eu qu’un faible écho politique 33. Tout récemment, la tragédie semblait se remettre en place. Unité de temps : 2000. Unité de lieu : l’Assemblée nationale et le Sénat. Reste l’unité d’action, à peine perceptible… En effet, coup sur coup, les courtes et les longues peines de prison essuient l’assaut des deux grandes commissions parlementaires. Sur un ton très institutionnel, la commission du Sénat d’abord : « Les prisons françaises abritent de plus en plus de détenus condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Ceux-ci semblent privés de toute perspective et constituent, dans ces conditions, une population extrêmement difficile à gérer pour le personnel pénitentiaire 34 ». Plus incisif, le rapport de la Commission de l’Assemblée nationale : « La prison est conçue non pas comme un lieu où l’on va amender le délinquant, voire le guérir, mais comme un trou noir où l’on s’en débarrasse, un moment de non-vie 35 », et rapporte les propos d’un membre de la Ligue des droits de l’homme pour qui « les longues peines sont sans contenu 36 ». Quant aux courtes peines, c’est R. Badinter que ledit rapport cite : « Il est impossible de penser à l’amendement des détenus dans les maisons d’arrêt 37. » À ses extrêmes, si j’ose dire, la longue peine est, ce que reconnaît une directrice de centrale, « un désespoir […] une absence de perspective 38 » et les courtes peines « une déresponsabilisation […] une infantilisation 39 ». Où va-t-on ainsi, sinon droit dans le mur ? Comme le font d’ailleurs de plus en plus fréquemment des détenus, par des passages à l’acte que l’on qualifie, à titre prophylactique, d’automutilation. Et puis, il faut parfois se laisser emporter par les mots. Une loi du 16 décembre 1992 ne dit-elle pas : « Toute peine privative de liberté est confondue avec la peine perpétuelle 40. » Il s’agit bien sûr de la confusion technique mais ces mots induisent une lecture sauvage. Il est donc bien difficile d’argumenter en faveur de l’abolition de la peine de mort (ou d’ailleurs de la perpétuité) tout en croyant à l’efficacité du reste de l’échelle des peines 41. L’abolitionnisme a pour tâche de refonder le système pénal, ce qui passera par sa nécessaire déconstruction, œuvre qu’entreprennent, d’ores et déjà, partiellement, peut-être inconsciemment mais avec vigueur, certaines condamnations des TPI, par une démonétarisation des peines 42.
Choisir son abolitionnisme
Philippe Combessie énumère trois types d’abolitionnisme 43 :
- celui de la peine de mort ; - celui des prisons ; - celui du système pénal 44 (en général).
J’y ajoute le plus fortement documenté et vigoureusement argumenté, celui de la détention à perpétuité 45. Pourquoi ? Parce que ce sont les analyses de cet abolitionnisme-là qui peuvent être transposées dans l’abolitionnisme de la prison, des peines privatives de liberté. D’abord par une scrupuleuse définition et analyse des quatre types de prévention, cet abolitionnisme met effectivement en évidence les faiblesses théoriques et empiriques des peines privatives de liberté en général. Un rapide survol, à défaut de convaincre, pourrait provoquer la curiosité, éveiller quelques réflexions. Par exemple :
1. La prévention spéciale négative se concrétise par la neutralisation, temporaire ou définitive, d’un condamné. Elle ne se réalise qu’à partir d’un présupposé de dangerosité innée ou acquise, naturelle, fixée comme état, statut et non susceptible d’évolution pychodynamique. La fragilité d’un tel pronostic, pour ne pas parler de la dangerosité, est trop connue pour que l’on s’y attarde ici ; 2. La prévention spéciale positive serait en quelque sorte le plus grand commun dénominateur des peines privatives de liberté. Finalité de la peine, orientée vers la resocialisation, la réintégration, l’intégration, elle peut avoir, dans certains ordres juridiques, des bases constitutionnelles indubitables ; tel est le cas du droit allemand 46. Le Conseil constitutionnel l’a également affirmé, s’agissant de la mission de l’administration pénitentiaire : favoriser l’amendement et préparer l’éventuelle réinsertion du condamné 47.
On a déjà rappelé ce qu’en pensent ceux qui ont récemment analysé la situation dans les prisons françaises et ceux aussi qui l’ont vécue de l’intérieur ;
3. La prévention générale négative instrumentalise le condamné, objet aux mains de la Justice, aux fins de prévenir, voire limiter la criminalité. Ni démontrée, ni certainement démontrable, cette fonction avait déjà été dénoncée par E. Kant en 1797. Incertaine, comme l’a prudemment établi le rapport Blumstein 48, elle est pourtant légitimée, par exemple par le Tribunal constitutionnel allemand, qui ne s’arrête pas aux considérations relatives à la dignité humaine qui pourtant lui permettraient de la rejeter 49 ; 4. Enfin, la prévention générale positive, affirmation et démonstration du caractère irrévocable de l’ordre juridique. Une bonne connaissance du fonctionnement du système de justice pénale fragilise totalement cette finalité, par l’importance indéniable de la criminalité réelle par rapport à la criminalité réprimée, mais une solide méconnaissance de cette réalité autorise des représentations populaires de la peine fortement ancrées sur cette finalité 50.
Pure hypothèse, elle n’empêche pas ses partisans de mener une politique pénale populiste, au nom de l’ordre et de la loi. On en connaît les dérives 51 anglo-saxonnes qui nous ont emportés une nouvelle fois vers des rivages sécuritaires où règne en maître l’intolérance affichée comme effet d’annonce guerrière. Il n’est plus possible aujourd’hui de faire l’économie du vrai problème : l’incarcération qui devrait nous conduire jusqu’à l’économie de l’incarcération elle-même. On aura alors mis le doigt sur « ce qui est essentiel, déterminant, qui n’est pas ce qui, apparemment, change (i.e. les réformettes inlassablement recommencées des prisons) mais ce qui effectivement résiste (i.e la prison), le changement véritable se négociant avec cette résistance alors que la nier (ou l’éradiquer) apparaît le plus souvent illusoire 52. Notre abolitionnisme ne s’arrête donc pas aux portes des prisons, il les envahit. En effet, l’abolition devient alors un pari sur l’amendement du condamné. Il faut se donner les moyens de le gagner. Comme le relève justement le rapport de la commission de l’Assemblée nationale : « L’opposition de principe à la peine de mort implique (au contraire) que la société envisage, à terme, la réintégration de la ceux qui semblent définitivement exclus par l’atrocité ou la répétition de leurs crimes » et « il serait profondément hypocrite d’abolir la peine de mort sans changer les conditions de détention, sans envisager la réintégration sociale et sans accepter aussi les risques sociaux que suppose cette réintégration 53 ». Cette abolition est aussi un questionnement politique sur le sens de la peine qui doit se poursuivre jusqu’à s’interroger sur la nécessité ou l’inutilité de la peine ainsi que sur sa nature. « Jamais plus qu’il n’est juste, et jamais plus qu’il n’est utile » rappelait déjà J. Ortolan (1886), même s’il ne s’agit que de punir. Abolir la peine privative de liberté, trop tôt, avant qu’il ne soit tard, comme cela a été fait en France pour la peine de mort, abolie trop tôt selon certains, et heureusement avant qu’il ne soit trop tard, passe certainement par un programme législatif visant à réduire les incriminations, mettant ainsi un terme à l’inflation pénale actuelle. Décriminalisons d’abord 54, l’intendance s’en trouvera sensiblement allégée. C’est l’abolition la plus radicale.
1. Je tiens à remercier ceux qui m'ont guidé et accompagné depuis de nombreuses années sur le chemin semé d'obstacles de l'abolition, en premier L. Hulsman, à qui je dois beaucoup. Des problématiques sociales contemporaines m'ont conforté dans cette voie, telle la répression perverse en matière de stupéfiants et le développement contemporain irréfléchi d'incriminations impraticables. Une reconnaissance toute particulière est adressée à J. Sauvageau qui m'a permis d'accéder à sa thèse (non encore publiée) et dont l'analyse m'a conforté dans l'idée que des liens étroits unissent l'abolition de la peine de mort et la critique du système pénal en général. Merci à P. Poncela qui a bien voulu rendre mon expression conforme au droit français de la peine. 2. « Une demande constante, sans cesse réitérée qui se matérialise […] dans ces nombreuses propositions de loi tendant à la remise en vigueur de la peine capitale ». J.-P. Delmas, Saint-Hilaire: « Le rétablissement de la peine de mort ? La réponse du droit français », dans R. Cario (sous la direction de), La peine de mort au seuil du 3e millénaire, Toulouse, Erès, 1993, p. 74 et « La discussion est relancée sporadiquement », selon J. Le Quang Sang, La loi et le bourreau, la peine de mort en débat (1870-1985), Paris, l'Harmattan, 2001, p. 221. Cf. également P. Poncela, Droit de la peine, Paris, PUF, 2e éd., 2001, p. 99. 3. J. Le Quang Sang, op. cit., note 2, p. 187. 4. J. Kellerhals et C.-N. Robert et al., Les représentations sociales de la sanction pénale, rapport au Fonds national de la recherche scientifique, CETEL, Faculté de droit, Genève, 2001. J. Pratt, dans « Beyond gulags western style », Theoretical Criminology, 2001, vol. V, n° 3, p. 307, signale le même phénomène d'opinion en Nouvelle-Zélande (abolitionniste depuis 1961). 5. G. Hood, « Capital punishment », Punishment and Society, 2001, vol. III, n°3, p. 335. 6. R. Badinter, L'abolition, Paris, Fayard, 2000, p. 304. 7. Idem, p. 214. 8. Perçu clairement de l’intérieur par un observateur qualifié et perspicace, Philippe Maurice, De la haine à la vie, Paris, Le Cherche-Midi, 2001, p. 282. Ce phénomène est devenu la tarte à la crème de la pénologie et l’enfer de l’administration pénitentiaire. Une littérature abondante lui est consacrée, évitant consciencieusement d’affronter les véritables causes de ce phénomène et sans y apporter de solution autre que la proposition de construire de nouvelles prisons, voire d’établir un numerus clausus… 9. P. Lascoumes, P. Poncela, P. Lenoël, Au nom de l’ordre, Paris, Hachette, 1989, p. 174. 10. Op. cit., note 6, p. 209. 11. P. Bourdieu, La force du droit, Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, n°64, P ; 3-19. 12. H. L. Packer, The limits of criminel sanction, Stanford, Stanford Univ. Press, 1968, p. 335. 13. Interview de M. Foucault dans Le Nouvel observateur, n°421, 4-10 décembre 1972, reproduite dans M. Foucault, Dits et Ecrits, II (1970-1975), Paris, Gallimard, 1994, p. 386. 14. Cité par Th. L. Dumm, « Death, modernity and enlightenment », Punishment and Society, 2000, vol. II, n°4, p. 471. 15. Principalement sous la plume de V. Hugo dans « Le dernier jour d’un condamné », publié en 1829. 16. J. Sauvageau, Le discours parlementaire sur la peine de mort (thèse), Louvain-la-Neuve, 1998, p. 300. 17. F. Ström, On the sacral origin of the germanic death penalties, Stockholm, Wahlström and Widstrand, 1942, p. 208. 18. C. Beccaria, Des délits et des peines, Droz, Genève, 1965, p. 48. 19. Pour la France : P. Poncela, P. Lascoumes, Réformer le Code pénal, Paris, PUF, 1998, p. 178. En Allemagne, il figure au programme politique des Verts : Fraktion Bündis 90/Grüne Lebendig begraben, lebens lange Freiheitsstrafe und Rezozialiesierung, ein Dauerwiderspruch, Bonn, 1991. Sans succès connu à ce jour. 20. Par exemple : H.-M. Weber, Die Abschaffung der lebenslangen Freiheitsstrafe, Baden-Baden, Nomos, 1999, p. 429. 21. W. A. Schabas, « Life, death and the crime of crimes. Supreme penalties and the ICC statute », Punishment and Society, 2000, vol. II, n°3, p. 266. 22. P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analytique de la langue française, Paris, Société du Nouveau Littré, 1963. 23. P. Combessie, Sociologie de la prison, Paris, La Découverte, 2001, p. 105. 24. Idem, p. 106. 25. P. O’Malley, « Volatile and contradictory punishment », Theoretical Criminology, 1999, vol. III, n°2, p. 182 (trad. Libre) et J. Simon, « The died with their boots on : the boot camp and the limits of modern penalty », Social Justice, 1995, vol. XXII, n°1, p. 25-49. 26. J. Sauvageau, op. cit., note 16, p. 307. 27. Visant à éloigner le criminel pour éviter la contagion, op. cit., note 17, p. 214. 28. R. Martin Achard, récents travaux sur la loi du talion selon l’Ancien Testament, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 1989, vol. 69, n°2, p. 179-188 et A. Schenker, Versöhnung und Widerstand, Bibeltheologische Untersuchung zum Strafe Gottes (Exodus 21-22), Stuttgarter Bibelstudien, 1990, Stuttgart Verlag Katholisches Bibelwerk. 29. R. Drai, Le mythe de la loi du talion, Aix-en-Provence, Alinéa, 1991, p. 242. 30. Idem., p. 73 31. G. Radbruch, Der Ursprung des Strafrechts, Elegantiae Juris Criminalis, Bâle, Baselverlag für Recht und Gesellschaft, 1950. A. Duport l’affirmait déjà en 1791, cf. P. Lascoumes, P. Poncela, P. Lenoël, Au nom de l’ordre, Paris, Hachette, 1989, p. 122. 32. Il est vrai que la littérature en langue française est assez pauvre dans ce domaine et qu’il n’est possible de citer que L. Hulsman, Peines perdues : le système pénal en question, Paris, le Centurion, 1982, et M. van de Kerchove, Le droit sans peines, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1987. Incidemment des prises de position dans la presse, comme par exemple : Act-Up, Paris, « Prisons : du débat au mouvement », Le Monde, 6 novembre 2000. Ou un débat confiné, N. Journet, « Peut-on réformer les prisons ? », Sciences humaines, 2001, n°113, p. 16-20. Enfin, un ouvrage de vulgarisation : A. Jacquard, Un monde sans prison ?, Seuil, Paris, 1993. La littérature anglo-saxonne et nordique est plus prolixe et engagée sur ce thème, cf. P. Mathiesen, The politics of abolition, essays in political action theory, Oslo, Scandinavian Studies dans Criminology, 1965, D. A. Jones, Crime without punishment, Lexington Mass., Lexington Books, 1979, N. Christie, Limits to pain, Oxford, Martin Robertson, 1981, J. D. Doyle, « Radical critique of criminal punishment », Social Justice, vol. XXII, n°2, 1995, p.7-24, D. C. Anderson, Sensible justice : alternatives to prison, New York, The New Press, 1998. 33. M. Foucault le reconnaît d’ailleurs, Dits et écrits, (1976-1979), vol. III, Gallimard, Paris, 1994, p. 807. 34. J.-J. Hyart, G.-P. Cabanel, Rapport de la Commission d’enquête sur les conditions de détention, Sénat, 28 juin 2000, p. 56. Il s’agit en fait de 10% de la population carcérale française, qui purge des peines de dix à trente ans ou des réclusions criminelles à perpétuité (op. cit., p. 30). 35. L. Mermaz, J. Floch, Rapport de la Commission d’enquête sur la situation dans les prisons, Assemblée nationale, 28 juin 2000, p. 125. 36. Ibid. 37. Ibid., p. 177. 38. Ibid., p. 124. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) l’a également relevé à propos d’une centrale : absence quasi complète de programme de traitement à long terme. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite en France effectuée par le CPT du 14 au 26 mai 2000, Strasbourg, 2001, p. 41. 39. Op. cit., note 35, p. 177. 40. Il s’agit bien sûr de la confusion des peines au sens technique mais surprendre ainsi le texte ne manque pas de saveur (Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, art. 347 et 373, Journal officiel du 23 décembre 1992). 41. J. Sauvageau, op. cit., note 16, p. 308. 42. Les condamnations prononcées par le TPI pourront être exécutées dans certains pays ayant accepté de recevoir leurs condamnés pour exécution. Qu’en sera-t-il des affrontements inéluctables entre les peines aujourd’hui prononcées pour les crimes les plus graves contre l’humanité, exécutées dans des établissements pénitentiaires où sont hébergés des condamnés (de droit national) à des quanta de peines incomparables pour des crimes infiniment moins « inhumains » ?... 43. P. Combessie, op. cit., note 23, p. 65. 44. On pourrait opportunément rappeler un ouvrage trop oublié de A. Plack, Plädoyer für die Abschaffung des Strafsrechts [Plaidoyer pour l’abolition du droit pénal], Munich, List Verlag, 1974. 45. H.-M. Weber, op. cit., note 20. Cf. également H.-M. Weber et S. Scheerer (sous la direction de), Leben ohne Lebenslänglich. Gegen die Freiheitsstrafe, Bielefeld, AJZ, 1998. 46. Arrêt Lebach (1973), BV Verf. GE 35, p. 202 et ss. 47. Décision du 20 janvier 1994, citée dans op. cit., note 34, p. 129. Cf. également E. Rotman : « Do criminal offenders have a constitutionnal right to rehabilitation ? », Journal of Criminal Law and Criminology, 1986, vol. 77, p. 1023-1068. 48. A. Blumstein, Deterrence and incapacitation, Washington DC, National Academy of Science, 1978. 49. BV Verf. GE 45, p. 187 et ss. 50. Confirmé clairement dans op. cit., note 4 (J. Kellerhals et C.-N. Robert et al.). 51. L. Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Raisons d’agir, 1999. 52. J.-F. Kahn, Tout change parce que rien ne change : introduction à une théorie de l’évolution sociale, Paris, Fayard, 1994, p. 130, cité par J. Sauvageau, op. cit., note 16, p. 252. 53. Rapport de la Commission L. Mermaz, op. cit., note 35, p. 124 et 125. 54. Politique « pénale » qu’avait courageusement affrontée le Comité européen pour les problèmes criminels, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1980.
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Dernière mise à jour : ( 20-04-2007 )
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